COLLAGES
Des centaines de magazines en tous genres, revues de mode plus particulièrement, avec, au fil des pages, des femmes parées, couleurs fatales de l’arc-en-ciel, feux multicolores pour de multiples désirs. Autant de colle, essentiellement limpide, tenace aussi, fluide gluant, ciment invisible de l’œuvre, et prolongeant la main, toujours droite même quand elle tremble, des ciseaux jumeaux, accouplés, vissés au centre, avec en un coin très tendre, situé juste derrière le cœur, une attention constante à leur parfait aiguisage ; car les ciseaux de Muriel, quand ils se meuvent, coupent, tranchent, brisent, font éclater en myriade de couleurs, comme confetti à Carnaval, ce miroir de formes finies et voulues idéales dans lesquelles, à chaque coin de rue, les kiosques demandent au passant de rentrer.
Frédérique Hatier
Mon grand-père était tailleur et toute mon enfance et mon adolescence, dans le local de mes parents, sont faites d’histoires de fils, d’aiguilles, de tissus piquant les yeux et les gorges. Mes oreilles sont restées fermées aux histoires qui sortaient des bouches, aux évènements. Ma bouche n’a rien à répéter. Toute ma mémoire semble venir du regard, du toucher,de l'oreille attirée par les bruits, du reniflement. J’ai vu les drapés, les couleurs chatoyantes des doublures, les textures, toutes sont dans mes mains, connues, sans leur nom. La longue table en bois sur laquelle on posait les coupes de tissus, puis sur le dessus le patron de carton lisse jaune orange, tout cela maintenu par de grosses pinces, la table sur laquelle se penchait, se contorsionnait le coupeur avec ses énormes ciseaux. Il séparait les pièces du futur vêtement et les chutes, les ciseaux couraient sur la table, puis ondulaient, prenaient des angles à droite, crissaient et se refermaient à la fin de la coupe d’un coup sec.
Toute une construction en épingles réunissaient les pièces, puis venait le temps des couturières sur leurs machines singer noires et fleuries et celles des petites mains si merveilleusement
habiles, montant le fil à la bouche, le fil mouillé de salive, roulé entre le pouce et l’index pour le nœud, l’aiguille dans une main et le fil dans l’autre pénétrant le chas, la main lègère et ferme
piquant puis tirant le fil avec délicatesse ou vigueur, en prise avec les noeuds, nouant l'une à l’autre les différences, et le travail fini, le fil cassé avec les dents. Le sol nu, le matin était le soir coloré, habillé lui aussi de formes découpées, d’épingles, de lanières de couleur, de petits objets tombés, oubliés, de fils coupés.
«Très bien » dit mon jumeau. « Moi je couds des boutons et la doublure de mon manteau. C'est curieux mon grand-père était aussi tailleur et ma maman un peu couturière ».
Muriel Lendower
LES ENCRES DE CHINE
Finesse des traits, entailles minuscules répétées jusqu’au vertige
Marques innombrables pour poinçonner le temps qu’on peut admirer en formes
Soudain objectives, même si oniriques,
Filet tressé si ténu par la plume maîtrisée, docile aiguë aiguille, qui retient le temps captif
Ivresse des gris
Douceur des gris, entre noirs et blancs
Comme pierre polie par marche incessante
Poils, peaux, duvets, velours, fourrures
Papiers griffés patiemment, longuement
D’où naissent des fleurs, des feuilles, Cactus et Chardons, algues des grands fonds, Arbres du Japon, Col de dindon et Queue de renard, toile d’araignée,
Qu’un souffle de vent pourrait faire frémir
À moins qu’ils ne soient fossilisés dans la pierre du temps,
Blancs jamais blanc, Noirs jamais noir,
Soumis au rythme de la ligne de vie qui trace une rêverie infinie.
Travail et maîtrise étonnante
Beauté des Encres de Muriel Lendower.
LES PASTELS
Ça va du noir profond comme une nuit où jaillirait un éclat de lune, un nuage perdu
Aux arlequinades des verts prairie, jaunes coquelicot, bleus solaire, roses marquise
Couleurs qui ne désignent pas ce qu’elles montrent
Lumières des opaques, trous noirs, aux transparences des vitraux de cathédrale
Et le trait qui se plait à faire tomber les yeux,
Ètoiles silencieuses refermées sur leur mystère sous les oreilles rondes de la coiffe de Mickey
Avec, au milieu du visage, autant de sexes moqueurs, déprimés, alanguis, mollement couchés
Au dessus de bouche petite, muette
Avec parfois une main levée, un appel,
Verts trop vert et Noirs trop noir, Rose et Bleu enlacés, Bleus et Noirs en fusion
Vérité de la craie qu’on croirait peinte ou plaquée par on ne sait quel procédé magique
Présence envoûtante de ces figures
Immobiles, placides et qui nous fixent
De la jolie Martiniquaise au Pierrot inquiétant des nuits du crime
C’est la galerie des très longs nez, qui semblent attendre, Quoi ?
Que ça bande, que ça bande !
CRAYONS ET LINOS
Comme une apparition de cirque forain,
De personnages venus des coulisses de l’enfance
Grand nœud pap, catogan et cheveux en bataille
Tête ronde ou enturbannée
Tendres compagnons originaux
Ourse fumante et Temps de Chien, Mon ami Loulou !
Jouant, fumant et jonglant sur le fil volé du Crayon
Ou sur le Trait blanc, prestidigitateur habile des linos
Univers joyeux, ironique et naïf
Plein de charme et de délicatesse.
Frédérique Hatier
Pour l’exposition de Mars 1997 Centre culturel Louis de Broglie, Neuilly-sur-Seine
C’est la nouvelle année, l’année 2009. Par la Lucarne des Écrivains que voit-on pour fêter cet événement ? Des livres bien sûr, et encore des livres, mais si vous regardez les murs, vous verrez apparaître tout un bestiaire d’animaux et de personnages, domestiques, chimériques, étranges, enfantins. Et si, vous introduisant par la lucarne, vous vous approchez un peu plus, vous découvrirez alors qu’ils ont tous un je ne sais quoi de tendrement extravagant, comme l’est leur créatrice Muriel Lendower.
Sur le mur de droite destiné à l’édition pour la jeunesse, une histoire de chats, de chats en cage ? Non, de chats pixellisés, nous sommes au début de l’ère du numérique, Muriel à Tel Aviv, - rond
ou carré ? -, c’est un peu beaucoup la quadrature du cercle !
Retour à Paris, au pays des fées et des sortilèges, les carrés obsédants des pixels sont abandonnés pour la liberté de la courbe, les chiens font leur apparition. Une histoire de chiens pour tous petits qui ont encore plein de sable dans les yeux.
Puis les collages « petits papiers » en aplat sur fond blanc. Un peu d’encre dessine l’œil, la bouche, un ornement. Histoires naïves et fantastiques où se côtoient des chameaux jaunes, des oiseaux rouges et des jeux de ficelle.
Enfin un vieux conte toujours neuf, « le Houppier du cocotier » écrit par Frédérique Hatier, illustré par toute une série de gravures en noir et blanc qui montrent comment la nuit peut disparaître et un royaume devenir fou.
À gauche, des linogravures, des bois, le noir jouant avec le blanc une partition qui au fil du temps se teintera de gris, et les personnages un peu tristes des pastels, gras ou secs, fragment de couleur pure écrasée avec les doigts, pénétrant les pores du papier jusqu’en son cœur, pour gommer une trace et figurer une image.
Frédérique Hatier
Pour l’exposition de Janvier 2009 Librairie La Lucarne des Écrivains, Paris 75019
|